L'odeur du crépuscule. Une odeur que seuls les lycans peuvent sentir, comme un appel de la nuit avant l'heure. Cette humidité naissance, comme la chaleur des cuisses d'une femme qui ne demande qu'à se laisser embrasser, mais la nuit avait cette torpeur fraiche qui faisait vibrer les loups jusqu'aux tréfonds de leur être. Une sensation de ne faire qu'un avec celle qui les a créé. Douce et pesante à la fois. Plus encore quand on a décidé de ne prendre quasiment jamais le traitement. L'alpha avait pris la résolution il y a plusieurs années maintenant, et peu importait que cela se sache ou non. Il n'avait pas l'intention de laisser tout ça durer. Un jour, il refuserait de se plier à ces créatures pathétiques et fragiles et soulèverait une révolution entière. Sa plus grande ambition. Mais pour l'heure, les préoccupations étaient autres. Après un trajet en semi véhiculé, lui et deux autres ayant préféré courir comme des furies à travers champs, ils retrouvent d'autres jeunes loups qui doivent se faire initier à la chasse. Certains ont plus de mal que d'autres. D'ordinaire, il ne prend pas part à ces initiations, mais il a le temps aujourd'hui, et il tient à participer à ce que font les autres loups pour garder le respect et aussi le mérite de sa place. N'allez pas croire qu'il se repose sur son prestige d'il y a quelques années. Il en crèverait d'envie, mais la vérité veut que ça ne marche pas comme ça. Chacun attend qu'il fléchisse, et il ne leur donne jamais ce plaisir. C'est épuisant mais il a signé, alors il assume.

D'un regard calme, il jette un œil aux plus jeunes. Un regard au terrain de chasse. Quelques champs de maïs assez hauts pour planquer du gibier et des bois éparses. Un bêta et deux delta, chargés de gérer les trois petits oméga. Donc trois gibiers. Il Nam est là pour leur compliquer la tâche et leur voler les proies sous le nez. Un test qui aime mener. Sa réputation sauvage en chasse n'est plus à refaire. Il se pose contre le capot du vieux pick up rouillé, croise les bras, le soleil déclinant. Il les regarde partir comme des lapins poids lourds et s'allume une clope tranquillement. Sa combustion servira de compte à rebours. Une fois le mégot consumé, il l'écrase sur la carrosserie qui n'est plus à une marque près, et marche calmement jusque dans le maïs, où on entend un grognement et les plantes s'écartent un peu. Muté partiellement, ses yeux noircis absorbent chaque détail du terrain, son ouïe supporte le battement de son propre coeur sous l'ossature plus saillant de son visage. Il crampe ses griffes dans le sol, et part comme un poids lourd dans les épis, captant au loin le son des pas de ses camarades coupant à travers champ sans s'arrêter. Son mètre quatre dix couplé à sa puissance le propulse au cul des omega mais aussi du gibier. Un son lui arrive, il bifurque juste devant un duo, droit sur le gibier ciblé et le percute d'un puissant coup de bras... envoyant le lapin voler. Ce dernier reprend sa course et s'enfuit à l'opposé compliquant la tâche du delta et de son omega. Mais Il Nam est déjà loin, son poids résonnant sur la terre meuble pour qui sait écouter le sol dans ses pieds et ses mains...  

Les minutes s'enchainent où le gibier est malmené mais toujours rabattu par l'alpha au final et deux duos finissent par chopper le plus gros morceau dans un bosquet. Le chef tarde à arriver alors ils se disent qu'il a peut être eu une priorité. Ils trainent le bestiau jusqu'au véhicule. Encore vivant. Il beugle comme une furie, les pattes brisées. Pas très discret. C'est à un oméga de le tuer, ça fait parti de l'apprentissage. L'un d'entre eux ne l'a jamais fait. Il est donc désigné. Taïga, alias le petit verlaine des fleurs et des écureuils. C'est une des raisons pour laquelle Il Nam est venu. Il commence à entendre parler de lui en toute discrétion. En parlant du loup, le voila qui ressort du champ avec des feuilles de maïs dans les cheveux et sous le tee shirt, d'apparence humaine, avec un cochon sauvage au groin écrasé dans sa main.

"Tue le, Taïga." ordonne le bêta. Le bestiau continue de brailler, et Il Nam plisse d'un œil en écrasant sa prise sur le capot et la tuant sous le choc. Il tourne la tête vers la scène quelques secondes devant le malaise du plus jeune. Il reprend le cochon et le colle dans les bras d'un des bêta. "Rentrez." Il regarde Taïga, et d'un ton sec "Toi tu restes avec moi." et d'un coup de ranger, il frappe dans la tête de la bête qui cesse de gueuler sa complainte, et s'affaisse par terre, dans un soupir de soulagement de l'alpha. Ah... c'est mieux. Du silence. Il enfonce ses mains dans ses poches et attend que la bagnole parte, puis se retourne vers Taïga. "Il n'est qu'endormi. Tue le."

La biche a cessé de gémir. Il Nam ne lâche pas Taïga du regard. Il le détaille, chaque mimique, chaque réaction. Il peut la peur à des kilomètres. Est-ce que l'alpha se délecte de cette sensation? Totalement. Il n'a jamais été sain à ce sujet là et la criante lui inspire une pure sastifaction, mais cela reste cependant un simple détail. Il patiente. On ne peut pas lui ôter cette qualité. Brutal mais aguerri, il va faire passer le test à Taïga, par la force s'il faut. Son ton est sec, froid. Il enfonce ses mains dans ses poches, et regarde la bête.

"Tu pues la peur. Controle toi. C'est quoi ton problème, t'aimes te faire péter le cul et faire ami ami avec les animaux? Tu crois que parce que t'es en bas de l'échelle, je n'sais pas ce qui s'passe? Que t'es insignifiant et que j'vais passer l'éponge? Sais-tu pourquoi notre clan est puissant? Parce que je ne laisse pas de coté les détails. "

Il le traitait de détail? Absolument. Parce qu'à l'heure actuelle, il n'était que ça à ses yeux. Chétif, insignifiant et presqu'inutile. Un humain pourrait faire ce qu'il fait. Il s'approche de lui et attrape le bas de son haut pour le soulever et observer. Il lâche et lui choppe le visage entre  ses pieds.

"Cette biche va se réveiller et je la frapperai encore. A cause de toi, elle va souffrir. Elle a les pattes brisées, elle ne peut plus vivre. Et ton manque de couilles lui inflige un châtiment pire que la mort. La torture n'est fait que pour les ennemis dont on veut tirer des réponses ou qui le méritent. Elle, c'est de la bouffe. Même si tu vas la découper, tu lui dois le respect. Tuer vite et bien, c'est ça que j'attends de toi. Tu n'auras qu'à demander pardon à Dieu après, même s'il s'en branle. "

De l'autre main, il sort le couteau de chasse qui dort dans sa ranger gauche et lui fout sous le nez. "Tu vas me prendre ça... et tu vas la tuer. Peu importe le moyen, tu le fais. C'est un ordre Omega." Il enfonce le clou, il va le faire craquer. Même si Taïga doit le faire en chialant, il va le faire. Il lui prend la main et lui pose le couteau dans le creux, et ne bouge plus, attendant de voir ce que le jeune va faire. Il ne rit plus. C'est soit il obéit, soit il va lui même prendre la main du louveteau pour lui faire trancher la gorge de l'animal. Il remet ses mains dans ses poches et attend.

 Il Nam ne lâche pas une seule des réaction de l'oméga. Il a conscience de le choquer, conscience de le rendre fou, de le remuer au plus profond, mais si ce n'est pas lui, ce sera les autres, et ces mêmes autres qui sont pas foutus de se gérer eux-même. Il a aussi conscience que Taïga est fragile, qu'il en faut, qu'il aime peut-être sa place en bas, mais s'il ne se protège pas mieux que ça, s'il se laisse écraser, il n'aura aucune barrière le jour où on lui foutra un coup de grâce dans la gueule. Et pour le renforcer, Il Nam ne prétendait pas être le plus doux des moyens, mais il était probablement un des plus réfléchis. Il avait  calculé chaque mot, chaque ordre, chaque provocation, prenant le gamin par les sentiments, quant à sa responsabilité envers l'animal, de le faire souffrir, de rallonger son calvaire. Il aurait été cruel de le laisser endurer ça n'est-ce pas. Être cruel pour Il Nam n'était qu'une formalité, il n'avait jamais eu le choix étant jeune, s'était endurci par la force des choses, et avait finalement absorbé ces cotés malsains pour se les faire propres. Etait-il responsable de ce qu'il était? Peu importait au fond. Lui Seul savait et il n'avait pas besoin de s’épancher là dessus.

Les jambes de jeune tremble, là où les siennes restent plantées dans le sol. Derrière lui, il le regarde tenter l'ordre, bredouillant quelques phrases obéissantes. Il sent sa peur et pourtant il le voit y aller. C'est pire que de la peur. A chaque instant, l'alpha pense que le petit omega va défaillir, que tout va lui échapper et qu'il va se retrouver avec deux corps à ramener à pieds aux village.

La lame plonge dans la gorge de l'animal endormi. Au moins il ne déglutit pas de sang et ne braille pas en se débattant comme c'est le cas d'ordinaire. Sinon, il l'aurait probablement perdu. Il se décale sur le coté, passant sa langue contre l'intérieur de sa joue, observant jusqu'aux larmes. Ce gamin avait finalement des couilles, plus que certains loups qui se la pétaient. Le fossé entre sa nature et son acte était colossal. Personne n'avait une marge si grande, ce qui impliquait dix fois plus de difficultés, et il avait obéi. Peut-être qu'il réussirait à faire quelque chose de lui, qui sait. Pour l'heure, il devait arrêté le massacre avant que le louveteau ne pête une durite pour de bon. Il pose un genou au sol, et passe sa main sur la sienne pour lui oter le couteau et finir le travail. "C'est bon. Arrete. Je n'te demande pas d'être un monstre Taiga, n't'méprends pas. J'te demande d'être un loup. C'est tout."

Il décale sa main pleine de sang sur le thorax de la bête et montre un endroit à l'arrière de la patte antérieure. "Ici... t'as le coeur. Si tu veux pas voir le sang te giclait à la gueule, perce ici plutot que la gorge." Il enfonce le couteau d'un coup sec. "Le temps que tu égorge la bête, le coeur continuera de battre et tu vas la faire souffrir. Donc le coeur direct. Compris?"

Il porte sa main au sang frais sur les phalanges et la lêche vaguement, recupérant le sang amer. Il a la dalle en plus. Ils en ont bien pour une heure de marche jusqu'au camp, il va devoir prendre son mal en patience. Il relève ses yeux sur Taiga, perplexe. C'est une fontaine ce gamin c'est pas vrai. Il inspire et pose une main au sol, accroupi à coté de lui, et se penche vers lui. Son doigt collant touche son menton et il lui pose un smack calme sur les lèvres. Un murmure tout prês: "arrete. J'te le referai faire t'façon."

Un smack qui avait surtout pour but premier de le choquer à moitié et de le faire réagir, pour qu'il se réveille de sa torpeur douloureuse. A ces mots, il se relève, et charge le bestiau sur son épaule, la gueule de la bête sur le coté, qui se vide de son sang. Ils vont marcher dans les champs pour le moment. "On y va." Un ordre sec qui coupait avec son geste précédent. Il s'éloigne calmement ses crampons s'enfonçant dans la boue de terre labourée.

 Au moins le smack avait eu raison de son chialement. Ah... comment pouvait-il tolérer de telles anomalies dans la meute. Il faut de tout, sa raison essayait de s'en persuader mais plus le temps passait et plus la personnalité du loup s'affirmait et se faisant puissant. Il savait qu'il n'était pas à son summum, que l'age mature d'un lycan est entre trente cinq et quarante cinq ans. Mais dans l'immédiat il ne s'inquiétait pas de sentir cette puissance grandir dans ses veines, il devait se ménage. Pour le ménager lui, cet oméga aux larmes violentes et au coeur en papier. Il se disait qu'il pouvait le faire progresse là où les autres avaient échoué et s'il n'y arrivait pas, alors ce loup serait peine perdu et même certains humains auraient plus de couilles que lui.

Le chevreuil sur l'épaule, il avance dans le champ en se lêchant le reste de la main et les lèvres, reniflant un peu. Le pas lent pour que Taiga puisse suivre , le regard qui vaque un peu partout, les sens à l'afût. Il finit par laisser l'animal retombé sur le coté de son flanc, le reste de sang s'imprégnant de le vêtement vers son pied. Le contact collant de la susbtance ne le dérange pas plus que ça en réalité.

"Tu t'es déjà demandé pourquoi on devait chasser? Et pourquoi on vivait séparés des humains? Je suppose que tu aimerais vivre avec eux n'est-ce pas?"

Il s'arrête et se retourne vers lui pour s'approcher et soulever le petit chevreuil de huit kilos et lui poser cash à cheval sur les épaules, la gueule de l'animal coulant encore. Il va lui faire porter pendant un moment pour voir s'il s'adapte. Il lui relève le menton de l'index et l'observe dans les yeux.

"Ne vomis pas ok. Ce n'est que de la viande froide. Il faut que tu réagis avec ton cerveau et tes tripes et non ton coeur. On fait parti de la chaine alimentaire ni plus ni moins."