Ma naissance. Rien de surprenant à ce sujet-là. Je n’étais pas la première de la famille, et ne serais en aucun cas devenue la dernière. Il m’arrive de me demander ce qui a pu pousser mes parents à vouloir tant d’enfants. C’en est ridicule. Mais bon, nous sommes tous de bons petits soldats obéissants et, je fus dès mes premiers babillements mise dans le moule à mon tour.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs marquants. Enfant curieuse, j’ai passé beaucoup de temps à lire ; une des rares activités qui me détend encore à ce jour. Je passais également beaucoup – sans doute trop – de temps dans les jupons de ma mère. Ce qui fit qu’un jour, je surpris une conversation que je n’aurais dû entendre. Une conversation entre mes parents, au sujet d’un de mes frères ainés : Yun Kim. A cette époque, je n’avais aucun préjugé vis-à-vis de ce dernier. Mais bien vite, les choses évoluèrent tout autrement.

« Dis Maman, pourquoi Papa et toi vous vous disputiez ? »
A dire vrai, je n’étais même pas certaine qu’il s’agissait bel et bien d’une dispute. Mon père dégageait cette image froide et autoritaire. Il suffisait qu’il élève très légèrement la voix pour que j’en vienne à penser qu’il était en colère. Tout prend vite de l’ampleur, lorsque nous sommes enfant.
« Nous parlions de Yun Kim, nous ne nous disputions pas. Tu n’as pas à t’inquiéter. »
Etrangement, je me souviens de son sourire à ce moment-là. Un sourire effacé, comme un mensonge. Tout inconsciemment, j’en vins à penser négativement de ce frère dont, au final, je ne connaissais rien.

Me voilà âgée de dix ans. Je suis une enfant tout ce qu’il y a de plus normal dans la meute. Je suis active, je passe mon temps à suivre Nam Ja même lorsque celui-ci aimerait être un peu plus tranquille. Sinon, j’accompagne ma mère, l’aide avec mes cadets. Ou bien je m’instruis. Je cours. Je ris. Je suis tout ce qu’il y a de plus normal.
Lui par contre, c’est autre chose. Et puis, une personne nous a quittés cette année. Une personne que je ne détestais pas, mais que mon père avait tendance à m’interdire d’aller voir. J’avais l’étrange impression que cela n’arrangeait pas son cas, à lui. Mais qu’importe, car j’allais bien.

« Tu ne crois pas qu’il faudrait éliminer ceux qui sont instables mentalement ? »
J’avais posé la question de but en blanc, sans penser aux conséquences. J’étais avec Nam Ja, ce jour-là. Yun Kim était déjà parti de la maison depuis plusieurs mois, et même si l’ambiance était différente à présent, nous avions toujours vague de ses exploits. Pensive, j’avais demandé et Nam Ja m’avait crié dessus comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Il m’avait expliqué pourquoi je ne devrais pas dire cela. Il m’avait expliqué que Yun Kim était à protéger et non à blâmer.
« Mais, il fait bien trop pleurer notre mère pour être pardonné. »
Ce fût tout ce que j’ajoutai, avant de quitter la pièce et retourner dans ma chambre en silence. Je ne cherchais pas à comprendre pourquoi je cultivais cette haine derrière mes sourires quotidiens. C’était un fait, et j’étais loin de me douter que cela n’irait qu’en empirant.

Je crois que j’ai été punie. Oui. J’ai été vile et cruelle à son sujet, alors, j’ai été punie. Assise au milieu des bois, je guettai le silence. Encore et encore. Le souffle rapide, je ne voulais tendre l’oreille pour comprendre ce que ces murmures lointains me soupiraient. Non. Il me suffirait de les ignorer. Tout simplement. Je n’aurais qu’à taire leurs existences, comme le cas de Yun, celui de notre oncle, ou encore celui de notre grand-tante. Oui. Je n’aurais qu’à faire comme si cela n’était rien, et cela disparaitra. N’est-ce pas ?

Maintenant âgée de dix-sept ans, je peux partir pour la Maison des Jeunes. Je suis terrorisée à l’idée de m’y rendre. J’ai d’autant plus peur de croiser Yun encore plus souvent qu’à l’accoutumée, et ainsi empirer la situation. Je le hais du plus profond de mon être. Même si je sais que cette haine vient principalement du fait que je crains de devenir comme lui, pour le moment je continue de me mentir.
Et vous, qui lisez ceci, si vous me voyez parler seule dans un coin. Ne dites rien. Passez votre chemin. Faites comme si vous n’avez rien vu, et à ce moment-là, les voix disparaitront pour de bon. J’en reste persuadée.