Depuis combien de temps suis-je éveillé? pff, au moins une heure. Si ce n'est plus. Si je suis de mauvaise foi? sûrement aussi. Mais qu'importe. Je pousse un gros soupir en plaquant mes bras le long de mon corps histoire de bien faire du bruit. La chambre est encore plongée dans l'obscurité, et ça fait un moment déjà que je m'amuse à suivre la direction des traits de lumières qui filtrent à travers les rideaux. La grosse masse dort encore sous ses couvertures douillettes, dans son lit moelleux, dans ses plumes toutes douces pendant que moi je suis en train de me faire chier littéralement dans mon canapé sous mon plaid tout pourri. De mauvaise foi? mais carrément!

Je me redresse d'un coup, retire ce qui me couvre et me lève pour aller vers les rideaux en faisant craquer le parquet. J'empoigne les bouts de tissu et tire dessus pour inonder toute la chambre du soleil qui est à son zénith. Après un aveuglement partiel je constate qu'il doit être un peu plus de midi, et je me tourne vers le stupide bêta qui m'a si "gentiment" accueilli dans sa chambre. Je retourne m'asseoir sur le canapé que je squatte pour dormir, les bras croisés en attendant que môssieur émerge.
Je vois les couvertures bouger, et finalement une tête en sortir. Le nez plissé et les sourcils froncés, j'affronte ton regard l'air de dire "t'as un souci?" en réponse au tien qui m'assassine sur place. Vous les loups vous avez l'habitude de ce rythme de vie, mais moi non, pas encore. Aussi, rester au lit longtemps après le levé du soleil, et me coucher juste avant, c'est juste pas possible.
Sans mauvaise volonté disons plutôt que j'ai du mal à m'adapter à leur rythme de vie.

Muet comme une carpe, je me lève pour prendre mes vêtements que j'ai négligemment jeté sur un fauteuil non loin la veille, histoire d'aller m'habiller. Il faut que je sorte, et j'espère que tu ne vas pas mettre quarante ans à sortir du lit.
Je suis définitivement de mauvaise foi, il faut l'avouer.

Oh que oui t'es pas content. Vu ta gueule, tes paroles ne m'étonnent même pas. Dommage pour toi, me buter est impossible, même si je me doute que tu dois t'imaginer une montagne de scénarios concernant mon assassinat, tous plus morbide les uns et que les autres. D'un froncement de nez, je te réponds par cette mimique suffisante, style "j'en ai rien à battre" alors que tu te lève. Je veux même répondre une remarque cinglante, mais à peine ai-je ouvert la bouche que tout le poids de ton corps s'écrase sur le mien, jeté à pleine vitesse pour m'atterrir dans la couenne sans prévenir.

J'en ai le souffle coupé lorsque j'atterris sur le parquet, la force de tes bras me maintenant durement au sol. Je te grogne immédiatement dessus en essayant de te repousser, avec mes bras et mes jambes. C'est à peine si tu bouges, par rapport à toi j'ai rien dans le gilet tu parles, et ce même si je sais que je me défends pas trop mal. Mais ces foutues piqûres qu'on m'a injecté de force m'empêchent d'user de toute ma force, même si celle-ci n'égale sûrement pas la tienne. Qu'importe, je n'aime pas me laisser faire, un point c'est tout.
Je grimace en sentant que tu tires durement mes cheveux, mais ce n'est rien par rapport à après : tes crocs plantés dans ma chair, je me paralyse une demie seconde, crispé par la soudaine décharge, avant de lâcher un râle douloureux et virulent à ton encontre. C'est quoi son putain de problème?! Je gigote violemment dès lors, frappant ton torse, tes bras, sortant mes griffes pour te faire décrocher.

Mais je ne me débats pas longtemps, à force de bouger je sens de plus en plus tes crocs me déchirer la peau et mon sang couler le long de celle-ci. Ta prise est tellement ferme, tellement forcenée, tellement autoritaire que je ne peux plus bouger, sous peine de me faire encore plus mal. Petit à petit, je cesse de gigoter, pour m'immobiliser totalement, mes mains crispées sur tes bras. Pas habitué du tout à cette domination de la part de lycans plus forts que moi, m'abaisser face à cette hiérarchie inconnue mais pourtant vitale pour quelqu'un de mon espèce reste une épreuve difficile, ayant vécu comme un "lycan humain", seul de surcroit, durant vingt ans.
Je récupère mon souffle, du moins j'essaie, statique sous ton poids et ce besoin animal de me soumettre, attendant simplement que tu finisses par me laisser tranquille.

Mon coeur palpite à l'intérieur de ma cage thoracique et je ne pousse plus que quelques geignements à cause de la douleur que tu m'infliges. Quand enfin tu décides de me lâcher, je défais ma prise sur toi, te laissant t'éloigner pour que je puisse respirer un bon coup, et surtout reprendre mon souffle en soulevant ma cage thoraxique sous la bouffée que je prends. Je grimace en sentant la sensation piquante et brûlante de la morsure, décontractant mes muscles avant de passer mes doigts sur la blessure.
Je t'assassine du regard à tes mots, et ne bouge pas d'un cil lorsque tu t'approches, me demandant bien ce que tu vas faire. Mes sourcils froncés se défroncent légèrement lorsque je te sens faire, et même si ça n'apaise pas totalement le mal, je dois bien avouer que ça me soulage légèrement. Aussi, je ne bouge pas le temps que tu te relève à nouveau, sans pour autant te porter un regard reconnaissant pour ton geste après ta "punition".

Je me lève en tirant la moue, la colère ressortant par tous les pores de ma peau tant je suis frustré de m'être fait punir de la sorte. Je me redresse, assis sur le parquet, et porte ma paume à mon cou meurtri, constatant le sang suintant encore. Mon t-shirt en est rempli, et je dois sûrement en avoir sur le menton. En me débattant, il y en a aussi qui a atterri sur mon bras. Fais chier. J'espère bien que ça va mettre longtemps à cicatriser, histoire que qui de droit le voit bien. Oh que oui, j'agis comme un gamin sans vergogne à ce moment, mais je m'en fous. Tirant toujours la gueule, comptant bien rester muet pour l'instant, j'enfile un bas et attrape une serviette avant de me diriger en furie vers la porte de la chambre.
"Et moi j'espère que tu vas passer un sale quart d'heure pour ça."
Grogné-je dans ma barbe, marmonnant à moitié, claquant la porte derrière moi sans me préoccuper de savoir si tu as entendu ou non. Je ne m'en vais pas seul, je sais que je vais encore me faire taper sur les doigts si jamais ; "un omega ne se déplace pas seul hors du village" gna gna gna. Je compte juste t'attendre dehors, plaquant ma serviette sur ma plaie, te maudissant intérieurement, pressé de mettre de l'eau fraîche dessus.

Je rumine dans mon coin comme un idiot, marmonnant des choses incompréhensibles dans ma barbe inexistante, te maudissant assez fort en espérant qu'une malédiction s'abatte sur toi. Tss, voilà maintenant je suis couvert de sang et n'importe qui dans le village va pouvoir me sentir  à des kilomètres. Mais surtout, j'imagine déjà comment tu vas pavaner, fier de m'avoir fait plier genoux. Je vois déjà ton air suffisant sur ton visage, et ça m'horripile encore plus.
Et évidemment, ça ne loupe pas ; à peine sorti que ça pue à des lieux que t'es content de toi. Crétin. Furibond, la serviette toujours plaquée sur mon cou, je prends bien soin de marcher à grands pas pour nous éloigner le plus possible l'un de l'autre. Ah, tu verras, un jour moi aussi je pourrais prétendre à te mettre à terre, toi ou un autre.

Oh que oui je réagis très mal à la provocation surtout lorsque c'est moi qui finit par perdre. Je n'ai pas le choix, on essaie de m'inculquer les valeurs des yazurs et dieu sait comme ça peut être difficile parfois. J'essaie d'éviter les regards sur nous, grognant même sur certains pour stopper leurs yeux furtifs lorsque nous passons non loin, et je suis soulagé finalement d'arriver à la rivière. À peine arrivé, je jette la serviette et m'agenouille au bord pour prendre de l'eau dans le creux de ma main et en mettre sur ma plaie, soupirant de bien-être : ma peau me brûle et même si l'eau n'est pas extrêmement fraîche, elle le reste assez pour soulager la douleur un temps soit peu. Je la nettoie donc dans un premier temps, grimaçant parfois lorsque j'appuie sur les chairs saignantes et déchiquetées, enlevant le plus de sang possible.
Je nettoie mes mains rouges de sang dans l'eau, les frottant entre vivement entre elles pour enlever toute trace rougeâtre. Lorsque je relève la tête, tu es déjà dans l'eau, nu comme un verre. Toujours autant de mauvaise foi, je préfère m'éloigner un peu. Je suis beaucoup plus à l'aise qu'au début mais je reste tout de même parfois légèrement pudique sur les bords, bien que ça ne soit plus du tout la première fois désormais -disons que l'habitude se prend à force.
Je me déshabille entièrement, et entre dans l'eau pour m'y asseoir, pliant mes jambes pour les rapprocher de mon torse ; je peux ainsi me mouiller les cheveux, les bras, puis le visage. Pendant quelques secondes j'oublie ta présence et profite juste de ce moment pour me laver, restant à bonne distance, sans mot dire.
il allait tout de même bien falloir que je trouve comment me venger, à ma façon.

Les jambes ramenées contre moi, je les entoure des mes bras tout en profitant de l'eau ; je me concentre sur ce qui m'entoure, les bruits, les odeurs et mes sensations. J'entends les oiseaux chanter, et une ou deux bêtes dans les fourrés, à peine perceptible. L'eau coule, le courant chante et se frappe contre ma peau, l'eau fraîche m'éclaboussant régulièrement. Une odeur de mousse, une autre plus pure qui démontre à quel point la nature ici est sauvage et sans artifice.
Et puis ton odeur à toi qui s'approche. "Tu m'en veux?" Je ne prends pas la peine de répondre. Je rouvre les yeux et pose mon menton sur mes genoux. Si je t'en veux? oui et non. Dans un premier temps oui parce que tu as dû user de la force, que mine de rien ça fait mal nom d'un chien!, et surtout parce que je n'aime pas ça. Je ne suis plus un enfant, mais ici c'est tout comme. Je dois tout refaire. Me faire corriger par un bêta, par toi, me ramène au fait que je dois tout recommencer et ce malgré tous les efforts que j'ai fait depuis ma première mutation pour pouvoir m'adapter alors que j'étais seul. L'impression d'être incompris peut-être? il y a peut-être de ça.
Et dans un deuxième temps, non, parce que tu fais ce qui est juste. Il y a des règles ici, je le sais, je ne m'y adapte pas encore, mais c'est ainsi qu'on le fait respecter. Et puis tu ne me déteste pas, ça se voit. C'est juste l'ordre naturel des choses. De nos choses à nous.

Alors même si je fais ma tête de mule lorsque tu cherches à me faire parler, je refuse obstinément. Je suis pourtant bien obligé de te faire face, de te regarder car même si mes sourcils sont encore froncés, j'affronte tout de même ton regard dur.
"C'est facile pour toi. T'es ici depuis toujours."
Je repousse ta main, sans pour autant être violent ; je prends juste ton poignet pour éloigner ta main. Je repose mon menton sur mes genoux, hésitant à parler. Pas tellement l'habitude d'étaler mes pensées. Note mon effort, stupide bêta.
"Même si je le voulais je ne peux pas. On m'a piqué maintenant, j'aurais du mal à survivre comme avant. Et puis... il y a Il Nam. Il m'a ramené alors qu'il aurait pu me laisser pourrir dans la forêt."
Je finis par relever les yeux sur toi.
"J'suis pas comme vous. J's'rais peut-être jamais comme vous. Vous savez ce que vous êtes. Moi j'essaie encore de comprendre ce que je suis."

Agacé. C'est le mot qui convient pour décrire ton état d'esprit à ce moment-là. Pourquoi ne me laisses-tu simplement pas en paix dans ce cas? plutôt que de te tuer à la tâche, de te confronter à mes refus si nombreux, pourquoi n'abandonnes-tu pas simplement? je ne t'en ai pas fait assez baver? Je soupire discrètement ; il faut croire que non. Ou alors tu es maso. Ou alors je ne sais pas. Est-ce simplement parce que Il Nam te l'a demandé? N'aurait-il pas pu le faire lui-même?
Aish, il a d'autres choses à gérer que moi. Il me consacre déjà plus qu'il n'en faudrait, simplement à cause de notre "attachement" mutuel. Mais s'il savait que j'étais aussi buté, comment réagirait-il? et que dirait Hyera si elle apprenait que je faisais tout pour emmerder le seul bêta disposé -et désigné- à m'apprendre quelque chose? Aucun des deux ne serait content. Je ne l'avouerais pas, mais désormais ce qui me fait peur c'est qu'on me renvoit d'où je viens. Avec ces saloperies injectées, je ne ferais plus long feu dehors. Je ne suis pas totalement en confiance au milieu de tous ces loups, mais au moins ils sont comme moi. Peut-être que je ne leur ressemblerais jamais, mais au moins je ne serais pas tout seul.

Et comme c'est dur de te donner raison. Je suis peut-être borné, réfractaire, il n'en est pas moins que je ne suis pas sourd à ce qu'on me dit. Et si tes paroles donnent à réfléchir, je n'en dis rien. Sûrement noteras-tu que je ne te repousse pas. Je me contente de te jeter des coups d'oeil, mordillant ma lèvre sous la réflexion. Je ne sais pas ce qui est le plus dur : faire sa place en étant issu de la meute, ou faire sa place en étant extérieur. J'ai envie de prouver que je vaux mieux que ça. Que je peux devenir plus fort. C'est cet apprentissage par lequel il faut passer qui se révèle être difficile pour moi. Comment arrives-tu à garder ton calme sérieusement? ah, si on oublie ce matin évidemment.
─ C'est toi qui la rend compliquée, crétin.
Marmonné-je avec un semblant de sourire. Même si je ne relève pas tes paroles, elles ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd, j'espère au moins que tu l'as remarqué avant de me sauter à nouveau dessus pour me punir de ne rien en avoir à faire. Tu es plus jeune que moi et pourtant tu es déjà bien au-dessus.

Je passe ma main contre ma plaie, et te lance un regard, d'abord espiègle, avant de s'adoucir innocemment.
─ Tu vas laisser ça comme ça? tu pourrais me nettoyer, non?
Lancé-je tout naturellement.